La décision de la Cour de cassation était très attendue. En effet, inséré à l’article L 1235-3 du Code du travail par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, ce barème a fait polémique et a divisé la doctrine… mais aussi les conseils de prud’hommes. Si certains ont reconnu la conformité de ce référentiel obligatoire aux textes internationaux (Cons. prud’h. Le Mans 26-9-2018 n° 17/00538 : RJS 12/18 n° 729 ; Caen 18-12-2018 n° 17/00193 : RJS 3/19 n° 155 ; Saint-Nazaire 24-6-2019 n° 18/00105), nombre d’autres dont certains présidés par un juge professionnel, ont décidé d’écarter son application au motif qu’il méconnaîtrait, notamment, les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention 158 de l’OIT, en ce qu’ils prévoient le droit pour les travailleurs licenciés sans motifs valables de percevoir une indemnité adéquate (notamment : Cons. prud’h. Troyes 13-12-2018 n° 18/00036 : RJS 2/19 n° 89 ; Paris 22-11-2018 n° 18/00964 : RJS 5/19 n° 290 ; Amiens 19-12-2018 n° 18/00040 : RJS 3/19 n° 155 ; Lyon 21-12-2018 n° 18/01238 : RJS 3/19 n° 155 ; Grenoble 18-1-2019 n° 18/00989 : RJS 3/19 n° 155 ; Bordeaux 9-4-2019 n° 18/00659 ; Montpellier 17-5-2019 n° 18/00152).
Dans la note explicative accompagnant ses décisions du 17 juillet 2019, elle relève que « la procédure de demande d’avis a pour objectif d’assurer, dans un souci de sécurité juridique, une unification rapide des réponses apportées à des questions juridiques nouvelles, au nombre desquelles figure l’analyse de la compatibilité de notre droit interne aux normes supranationales ».
Si la conformité du barème avec l’article 24 de la Charte sociale européenne et l’article 10 de de la Convention 158 de l’OIT était en cause, la Cour suprême ne se prononce qu’au regard de ce dernier texte. Elle estime que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct. Elle se fonde pour cela sur les termes de la partie II de la Charte et sur ceux de l’article 24 qui lui sont apparus comme laissant une trop importante marge d’appréciation aux parties contractantes (c’est-à-dire les États signataires de la Charte) pour permettre à des particuliers de s’en prévaloir dans le cadre d’un litige devant les juridictions judiciaires nationales.
Pour sa part, le Conseil d’État a admis l’effet direct des stipulations de l’article 24 de la Charte dans le cadre d’un litige opposant une chambre de métiers à un de ses salariés (CE 10-2-2014 n° 358992 : RJS 5/14 n° 436).
On peut souligner, par ailleurs, que le principe énoncé par ce dernier texte est comparable à celui figurant à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT exigeant une réparation adéquate.
D’après l’article 10 de la Convention OIT 158, si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
La Cour de cassation est arrivée à cette conclusion après avoir estimé que le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux États parties une marge d’appréciation, puis relevé qu’en droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, que si la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux et que le barème est écarté en cas de nullité du licenciement, en application de l’article L 1235-3-1 du même Code. Et d’ajouter, dans sa note explicative, que le barème, qui prévoit notamment, pour un salarié ayant un an d’ancienneté dans une entreprise d’au moins 11 salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de 2 mois de salaire brut, répondait aux exigences de la Convention, « l’État n’ayant fait qu’user de sa marge d’appréciation ».
Rappelons aussi que, au plan international, des recours ont été déposés par des organisations syndicales devant la Cour européenne des droits de l’Homme et de l’OIT, ainsi que devant le Comité européen des droits sociaux (CEDS), organe de contrôle de l’application de la charte sociale européenne.
Les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
Les dispositions précitées de l’article L 1235-3 sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail.